Mot des commissaires
Les jumelles Isabelle
et Marie-Ève Charron
Sainte-Luce-sur-mer, 1981
Photo : © Carole Rivard
ORANGE, L’événement d’art actuel de Saint-Hyacinthe, c’est le cadre exceptionnel qui a permis aux jumelles que nous sommes de combiner nos domaines respectifs en histoire de l’art et en agroalimentaire. Fortes de ces assises interdisciplinaires, nous proposons pour cette 6e édition des arrimages concrets entre les mondes artistique et agricole. Plusieurs des œuvres présentées sont le résultat de « rendez-vous à l’aveugle » que nous avons provoqués entre artistes et partenaires agricoles autour de la notion de traçabilité, fil conducteur de l’événement.
La traçabilité est au centre de nombreux enjeux actuels en agroalimentaire. Elle favorise également des liens féconds avec des préoccupations artistiques. La volonté d’assurer la provenance ou la différenciation d’un produit par la traçabilité s’apparente à des questions typiques au monde de l’art. En agriculture, la traçabilité permet ainsi de retracer le parcours d’un produit, de sa production à sa distribution, alors que les œuvres d’art sont nécessairement rattachées à leur auteur.e, depuis leur genèse jusqu’à leur présentation. Dans un domaine comme dans l’autre, la « traçabilité » garantit, authentifie et indexe la valeur (monétaire, esthétique, qualitative) du produit, du geste ou de l’action ; la traçabilité rassure, même. En art, la signature et l’attribution orientent la réception de l’œuvre par le public et confortent le marché ou les musées.
Dans cet esprit, les 13 projets artistiques réunis permettent d’aborder de manière inédite plusieurs déclinaisons de la traçabilité avec, entre autres, les exemples de la génétique laitière, des œufs, de la pollinisation, des semences et de la production céréalière et acéricole. De leur incursion, plus ou moins longue, dans des contextes agricoles variés, allant d’entreprises agricoles de grande taille à des productions artisanales, ou encore à des lieux de recherche spécialisés et même à l’usine agroalimentaire, les artistes proposent des œuvres touchant divers enjeux : transmission et reconnaissance de savoir-faire, valorisation et attestation de terroirs, transparence et sécurité alimentaire, technologies et science qui appuient ou permettent la traçabilité. Quant aux œuvres déjà existantes, elles trouvent au sein de cet événement une nouvelle portée qui enrichit leur lecture. L’ensemble des propositions interprète avec nuances un monde agricole complexe, à la fois ancré dans les traditions et transformé par les technologies de pointe.
Avec le prétexte de créer une œuvre dans le cadre de ORANGE, des interfaces nouvelles ont ainsi vu le jour entre les domaines de l’art actuel et de l’agroalimentaire, a priori éloignés. Circonstancielles, ces conditions de rapprochement seraient pourtant à souhaiter davantage, pour contrer la division des savoirs et l’ignorance mutuelle. Les artistes et les partenaires agricoles de cette édition ont osé faire de cette rencontre une expérience engageante et engagée, repoussant les limites de leur champ d’action habituel. Surtout, elles et ils ont découvert le point commun qui les liaient fondamentalement : la passion pour leur domaine.
Au fur et à mesure que nous avons avancé dans la préparation de cette édition basée sur la franche conjugaison de l’art actuel et de l’agroalimentaire, des points de jonctions inusités sont apparus et autant de ponts entre les gens. Aussi, cette aventure aura mobilisé une quantité impressionnante de personnes, toutes enthousiastes à combiner leurs efforts dans la réalisation de l’événement. Nous leur en sommes infiniment reconnaissantes et en premier lieu aux artistes et aux partenaires agricoles qui nous ont fait confiance. Pour nous, ORANGE a représenté aussi l’occasion d’affirmer notre gémellité et de rendre hommage au legs familial, du côté de l’agronomie, du jardinage et de l’alimentation. Avec ces racines pour guide, il allait de soi d’impliquer des complices issu.e.s du Kamouraska, la portée d’entrée de notre région natale, le Bas-Saint-Laurent.
À Saint-Hyacinthe, ORANGE 2018 propose un étoilement significatif de sa présence en traçant un itinéraire entre quatre lieux de diffusion, liés par leur vocation à l’agroalimentaire et aux arts visuels, ainsi qu’à l’histoire patrimoniale. Par cette mise en exposition intégrée à des lieux non artistiques – des lieux de vie ou d’enseignement –, nous souhaitons aller à la rencontre des publics dans leur quotidien et placer les citoyen.ne.s au centre d’un événement que nous espérons aussi nécessaire que stimulant.
Isabelle Charron
Agroéconomiste de formation, Isabelle Charron est présidente depuis 2013 du Groupe AGÉCO, cabinet-conseil spécialisé dans le secteur agroalimentaire et le développement durable. Elle a joint les rangs de l’entreprise dès sa fondation en 2001 et y devient associée en 2009. Ses domaines d’expertise touchent les planifications stratégiques sectorielles, les politiques d’achat local et responsable, les études de marché, et la main-d’œuvre. Elle travaille étroitement avec l’ensemble des acteurs de la filière agroalimentaire, allant de la production agricole en passant par la transformation et la distribution alimentaire. Forte de sa notoriété dans le secteur agroalimentaire québécois, Isabelle parcourt la province depuis de nombreuses années pour agir à titre d’experte lors de conférences sur des thématiques d’actualité agroalimentaire. Elle est membre de l’ordre des Agronomes et siège sur le comité organisateur des Perspectives agroalimentaires du Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec (CRAAQ).
Marie-Ève Charron
Critique d’art au quotidien Le Devoir (2001-2003 ; 2007 à ce jour), Marie-Ève Charron est historienne de l’art diplômée de l’UQAM (1999) et de l’Université de Montréal (2003). Elle a été commissaire de plusieurs expositions de groupes ainsi que des expositions solo. En plus de contribuer à des ouvrages sur des pratiques artistiques du Québec, elle publie régulièrement dans les revues d’art spécialisées. Depuis 2004, elle enseigne l’histoire de l’art au Cégep de Saint-Hyacinthe ainsi qu’à l’UQAM comme chargée de cours. Ses recherches et activités portent sur l’exercice de la critique d’art et sur les représentations de l’artiste dans les œuvres d’art comme dans les discours théoriques. Dans la foulée de ses plus récents travaux, elle s’intéresse aux nouvelles formes d’engagement politiques et féministes de l’artiste.